Antigua : le projet de mega-resort "Singulari" : inquiétudes au sujet de la gestion de l'impact archéologique

Singulari Un gigantesque projet touristique de 647 hectares (le plus grand des Antilles) vient d'être conclu entre la firme chinoise Yida qui va y investir 1 milliard de dollars et le gouvernement d'Antigua via l'agence immobilière Luxury Locations. Les terrains, en liquidation judiciaire, étaient la propriété de Allen Stanford, magnat financier surnommé le "petit Madoff" condamné par la justice américaine à 110 ans de prison pour escroquerie. Le complexe immobilier comprendra des résidences hôtelières de luxe, des résidences privées, un hôpital, une école, un hippodrome, un terrain de golf, le plus grand casino de toutes les Antilles et deux marinas. Il devrait (bien sûr !) créer de nombreux emplois : 1000 "jobs" sont promis par l'investisseur. Quelques voix à Antigua ont timidement posé la question de l'impact d'un tel projet sur le milieu naturel.

source vignette : Luxury Locations Magazine

Le terrain est situé au nord de l'île d'Antigua, sur la péninsule de Crump, zone en grande partie couverte de broussailles et encore vierge de tout aménagement. Il comprend aussi les deux îles de Guiana et Crump. Le secteur est connu depuis les années 70 pour sa richesse en sites précolombiens de l'époque précéramique (dans les deux millénaires avant J.-C.), et en particulier sur la péninsule de Crabbs (ou de Parham) où le site de South Pier est localisé juste à côté du projet (Davis 1982). Une carte de l'archéologue Davis indique aussi la présence d'un site précéramique dans l'emprise du projet immobilier. Cette abondance de sites est probablement liée à la proximité de l'île de Long Island où un silex de très bonne qualité a été exploité par les populations précolombiennes et a été diffusé dans toutes les Petites Antilles. Des zones humides littorales, avec de possibles vestiges organiques conservés, sont aussi concernées par le projet et en particulier celle du nord de la péninsule de Crump où une marina devrait être implantée. Le Dr Reginald Murphy, directeur des Ressources Patrimoniales des Parcs Nationaux d'Antigua, a fait part dans le journal Daily Observer de sa grande inquiétude et de la nécessité de procéder à une évaluation archéologique préliminaire, en particulier sur l'île de Guaina où est connu un grand site précolombien de la culture saladoïde (premier millénaire après J.-C.). Le potentiel archéologique du secteur est donc très important et surtout si l'on tient compte que des sites enfouis ont pu échapper à tout repérage dans cette zone difficile à prospecter.

Peut on espérer que ce projet fera l'objet d'interventions archéologiques préventives à la hauteur des enjeux scientifiques et patrimoniaux ? Peut être, si l'on en croit la déclaration de l'agence Luxury Locations sur le site du journal Antigua Chronicle : " Yida (l'investisseur chinois) a une solide réputation à l'échelle internationale pour la responsabilité environnementale, sociale et sociétale. Nous avons vraiment aimé leur éthique et leur engagement à apporter une contribution positive ici à Antigua ". On peut cependant en douter compte tenu de la faiblesse de la réglementation en matière de protection du patrimoine historique et archéologique de cette petite nation et du manque de moyens humains locaux dans ces disciplines, comme cela est analysé par le Dr. Reginald Murphy dans le chapitre consacré à Antigua-Barbuda du livre "Protecting Heritage in the Caribbean" (2011).

sources :

  • Davis 1982 : DAVIS, Dave, 1982. Archaic settlement and resource exploitation in the Lesser Antilles: Preliminary information from Antigua. In : Caribbean Journal of Science. 1982. Vol. 17, n° 1-4, p. 107‑122.
  • Murphy 2011 : MURPHY, Reg : "Antigua and Barbuda" in : SIEGEL, Peter E., RIGHTER, Elizabeth (Ed.) 2011. Protecting Heritage in the Caribbean : University Alabama Press. p. 73-79.

localisation du projet dans Google Maps