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vendredi 2 janvier 2015

Haïti, Paris : exposition : Grottes d’Haïti : entre imaginaires et réalités

exposition-grottes-haiti-unesco-5dad2.jpg L'association "Hommes des Cavernes" organise à la Maison de l'UNESCO à Paris du 5 au 21 janvier 2015, une exposition retraçant l'exploration des cavernes de Haïti menée depuis 2009 par les spéléologues Carole Devillers, Jean-François Fabriol et Olivier Testa. L'exposition présente en 45 panneaux de nombreuses photographies des principales grottes visitées, révélant un patrimoine aussi exceptionnel que méconnu.

Ces impressionnantes cavités peuvent aussi être admirées sur le site "Grottes de Haïti". La page Le projet fourni quelques explications sur la nature du programme et en particulier les objectifs affichés de protection des sites, formation de guides et assistance à l'aménagement des cavités afin de les rendre accessibles au public. En revanche ce programme d'exploration ne semble pas revendiquer d'ambition scientifique, que ce soit au niveau de l'étude du milieu naturel que des approches archéologiques et paléontologiques qui paraissent totalement absentes.

Affiche de l'exposition © Association Hommes des Cavernes

dimanche 19 octobre 2014

Haïti : l'épave CV1 n'est pas celle de la Santa-Maria (Unesco) ... on s'en doutait un peu !

Carte de la côte nord d'Hispaniola attribuée à C. Colomb
(Archives de la Casa de Alba, Madrid)

hispaniola_colomb2.jpg

La mission menée par l'Unesco, le Ministère de la Culture haïtien et le Bureau National de l'Ethnologie, faisant suite à la demande de Monique Rocourt, ministre de la culture de Haïti, (voir notre billet précédant), a été effectuée du 5 au 15 septembre 2014 sous la direction de l'expert espagnol en archéologie sous-marine Xavier Nieto Prieto, ancien directeur du Centre d'Archéologie Subaquatique de Catalogne. Une note d'information peut être consultée sur le site de l'UNESCO, ici, et le rapport en français peut être téléchargé avec ce lien.

Le résultat parait sans appel : l'épave CV1 (Coque Vieille 1, du nom du récif où elle est coulée) ne peut pas être celle de la Santa-Maria, le navire amiral du premier voyage de Christophe Colomb aux Amériques, échoué au nord de l'île d'Hispaniola dans la nuit du 24 au 25 décembre 1492. Plusieurs arguments sont présentés dans le rapport d'expertise. Le plus déterminant est le fait que tous les éléments de fixation retrouvés sur l'épave sont en bronze, or ce métal n'est utilisé comme attache dans la construction navale qu'à partir de la fin du 17e siècle. Auparavant, clous et broches de fixation sont en fer ou en bois, et il en est logiquement ainsi pour la Santa-Maria. Les vestiges CV1 correspondent à l'épave d'un seul navire qui a été construit durant les 18e ou 19e siècles donc très largement après le voyage de Christophe Colomb.

Le battage médiatique généré par l'américain Barry Clifford semble donc bien clos. Mais où se trouve donc le lieu du naufrage de la Santa-Maria ? L'étude fournit quelques éléments, en particulier la vraisemblance que la Santa-Maria s'est échouée à faible distance du rivage si l'on en croit des descriptions de Christophe Colomb. Mais les pistes les plus probantes ont été avancées par deux chercheurs français : le géomorphologue Loïc Ménanteau et l'historien Jacques de Cauna, et par une équipe espagnole composée du géophysicien Alfonso Maldonado, de l’historienne Maria Luisa Cazorla et de Enrique Lechuga de Serantes (secrétaire général de la Fondation ibéro américaine pour la culture et les sciences de la mer) cette équipe ayant commencé des recherches en 1991, cependant interrompues pendant la crise politique durant le régime du général Cedras (Le Nouvelliste et Blog de Nancy Roc).

Loïc Ménanteau (qui a participé à l'expertise de l'Unesco), géomorphologue et spécialiste des environnements littoraux à l'université de Nantes a étudié le littoral du nord d'Haïti et a co-dirigé la production de l'Atlas côtier du Nord-Est d’Haïti, 1997. Cet ouvrage se propose de modéliser l'évolution historique du littoral dans ce secteur de Haïti. L'originalité de cet atlas est de se fonder à la fois sur les sources historiques, et en particulier des cartographies du 18e siècle, et sur les caractéristiques géomorphologiques et sédimentaires du littoral. Le Dr. Ménanteau penche pour un emplacement d'échouage plus près de la côte actuelle que la position de CV1, quelque part dans la Baie de Cap-Haïtien (rapport, p. 16 et 17, note 15). Il se base sur les textes du journal de bord de Colomb et sur une réévaluation à la baisse de la longueur de la lieue utilisée par Colomb.

Jacques de Cauna, historien à l'Université de Bordeaux et spécialiste de Haïti, a proposé sur son blog une hypothèse de localisation tout autre. Cette hypothèse est également celle qui est soutenue par l'équipe espagnole, à savoir que l'épave de la Santa-Maria est située à l'intérieur des terres, enfouie sous les dépôts alluviaux d'un cours d'eau local : la Grande Rivière du Nord. Cette approche se base sur plusieurs éléments : sur le récit de Colomb qui décrit un échouage à faible distance de la côte, et sur la progradation attestée de la ligne de côte dans le secteur : la Grande Rivière du Nord a formé un delta alluvial qui a gagné sur la mer d'environ 2 km depuis 1760, ce que montre d'ailleurs très bien l'Atlas de L. Menanteau. Cette sédimentation gagnant sur la mer pourrait induire que l'emplacement de l'épave a ensuite pu être recouvert d'alluvions.

Un élément déterminant est le fait que l'ancre de la Santa-Maria ait été retrouvée fortuitement au 18e siècle à 1 km du littoral, ensevelie sous deux mètres de sédiments dans les terres de l'habitation Fournier de Bellevue selon la description de Moreau de Saint-Méry en 1796 (tome 1, p. 222 et 223 de la version de 1875) (Article sur le site web Haïti Libre). Cette ancre pourrait indiquer le lieu du naufrage, à condition qu'elle n'ait pas été déplacée ensuite, par exemple par les hommes de Christophe Colomb. Elle est actuellement déposée au musée du Panthéon national haïtien.

Jacques de Cauna exprime une certaine colère (sur son site : page Chaire d'Haïti 2014) au sujet de la pertinence de la mission de l'Unesco, dénonçant le gaspillage des moyens mis en oeuvre pour cette recherche, surtout dans le but de répondre au battage médiatique orchestré par Clifford alors que des éléments scientifiques très sérieux existaient auparavant, il suffisait d'écouter et de lire les (vrais) chercheurs et de ne pas répondre, même pour la contrecarrer, à l'hystérie médiatique provoquée par l'activisme pécuniairement intéressé d'un pseudo-archéologue. La faiblesse des institutions et des réglementations haïtiennes en matière d'archéologie laisse en effet le champ libre à toutes sortes d'imposteurs ou de pilleurs de sites archéologiques. Il est à espérer que cette affaire puisse au final être salutaire en amplifiant la prise de conscience que l'on commence à percevoir, et contribue à orienter l'action des institutions politiques haïtiennes dans le sens d'un meilleur contrôle des activités archéologiques dans l'intérêt de la recherche et de l'enseignement scientifique, de la protection et de la transmission du savoir, bref dans le sens du bien commun.

La ministre de la culture de Haïti a annoncé que les chercheurs espagnols (Alfonso Maldonado, Maria Luisa Cazorla et Enrique Lechuga de Serantes) allaient poursuivre leurs recherches à l'intérieur des terres, initiées en 1992 près de la Rivière du Nord dans la zone où l'ancre de la Santa-Maria a été trouvée au 18e siècle (Le Nouvelliste). Ces recherches consisteront dans un premier temps en une analyse géomorphologique de toute la zone afin de délimiter les secteurs favorables, puis en prospections géophysiques destinées à repérer les restes de l'épave elle même. Les investigations sur le terrain devraient commencer après la fin de la saison cyclonique 2014 Blog de Nancy Roc.

Le "découvreur" débouté, Barry Clifford maintient son intérprétation et réaffirme avoir bien trouvé l'épave du Santa-Maria. Il déplore que les experts de l'Unesco n'aient jamais communiqué avec lui (Huffington Post). Sa caution scientifique, le professeur Beeker est tout à coup beaucoup plus prudent et n'a que discrètement souligné ce qu'il désigne comme des faiblesses du rapport de la commission Unesco (The Independant).

Et n'oublions pas qu'un fragment de l'épave de la Santa-Maria se trouve peut-être en ... Guadeloupe. En effet C. Colomb, qui touche la Guadeloupe lors du 2e voyage en 1493, relate dans une lettre intitulée "Relation du deuxième voyage, La Isabella, janvier-février 1494", réédité, p. 10, la découverte dans un village Caraïbe situé sur la côte de l'île de la Basse-Terre d'un morceau de l'étambot (la pièce de fixation du gouvernail) "d'une nef d'Espagne", qui ne peut être que la Santa-Maria ... à moins qu'il ne s'agisse d'un fragment flottant d'épave ayant traversé l'Atlantique. Ce fait extraordinaire et étonnant impliquerait, s'il était exact, que cette pièce a été apportée par les amérindiens jusqu'en Guadeloupe à 1200 km de distance de Hispaniola, probablement suite à un pillage, une offrande ou un échange entre les Taïnos de l'île d'Hispaniola (ou les Espagnols ?) et les Kalinagos ou "Caraïbes" des Petites Antilles.

A suivre donc, la recherche continue ...

Bibliographie :

  • Nieto Prieto X. Villegas T., Demesvar K. Denis M., 2014. Rapport et évaluation sur la base du rapport préliminaire de la mission effectuée sur le Cap-Haïtien par les experts de l'Unesco, du Ministère de la Culture et du Bureau National de l'Ethnologie. UNESCO pdf sur le site de l'Unesco
  • Ménanteau L. & Vanney J.-R. (coord. scient.), 1997. Atlas côtier du Nord-Est d’Haïti. Environnement et patrimoine culturel de la région de Fort-Liberté. Port-au-Prince/Nantes. Ed. Projet "Route 2004". Ministère de la Culture (Haïti)/PNUD, iv+62 pp. peut être acheté à : Geolittomer-Diffusion
  • Moreau de Saint-Méry (1796). Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue, reédité 1875 Tome 1 Tome 2
  • Colomb 1494 (ré-edition 2002), "Relation du deuxième voyage, La Isabella, janvier-février 1494" textes retrouvés en 1985. Dans : Christophe Colomb, La découvert de l'Amérique. Tome II. Relations de voyage et autres écrits 1494-1505. Editions La Découverte 2002
  • Fonds Jacques de Cauna (Photographies des vestiges d'habitations de Haïti, forts, reproductions de cartes anciennes, plans, etc ...)

dimanche 31 août 2014

Haïti : mégaprojet touristique à l'Ile-à-Vache : colère des habitants, et menaces sur le patrimoine archéologique

Ile_Vache_small-Alexrk2-Wik.Common.png L'île-à-Vache est une petite île de 15 km de long GoogleMaps située au sud-ouest de Haïti. Peuplée de 14 000 habitants vivant d'agriculture, de pêche et d'élevage, l'île se partage entre des zones naturelles sauvages, des champs et jardins entretenus à la main ou labourés à l'aide de boeufs, et de très belles plages. Une petite activité touristique s'y est développée, avec deux hôtels assez modestes et quelques bungalows. Cette tranquillité est actuellement menacée par un grand projet touristique "Destination touristique Ile-à-Vache" promu par le Ministère du tourisme haïtien. Ce projet qui se veut "écotouristique" couvrira la totalité de l'île et comprendra 1200 chambres, 2500 villas, un aéroport international, un héliport, une marina, un port, un golf "écologique", des commerces, restaurants, centres de loisirs, clubs et boites de nuits, des cliniques (dont une de soins esthétiques), une "réorientation" de l'agriculture locale, un lycée, un hôpital et des écoles d'hôtellerie, plus un réseau routier pour relier le tout ... et aussi ... un "musée archéologique" retraçant l'histoire de la piraterie, car l'île est connue pour avoir au 17e siècle servi de repère au flibustier Henri Morgan dont deux de ses navires l'Oxford et le Jamaica Merchant ont coulé dans les environs. Quelques commencements de travaux ont déjà été entrepris sans information préalable des habitants : voiries, décapage de la zone de l'aéroport, dragage de la marina. Une partie de la population et en particulier l'association KOPI (Konbit Peyizan Ilavach), dont le vice président a été jeté en prison, s'est fortement mobilisée contre ce projet qui a été initié en excluant les île-à-vachois des décisions et sans leur consentement. La réprobation s'étend actuellement bien au-delà des frontières de Haïti.

Cacoq.jpg L'île est aussi connue dès les années 30 pour ses très nombreux sites archéologiques précolombiens (Rouse 1982, Moore 1982). Son nom taïno "Iabaque" a probablement été ensuite déformé pour donner "île-à-vache". L'occupation de l'île commence à la période précéramique : on retrouve des amas coquilliers dont certains comme Cacoq 2 mesurent plus de 3 m de haut et sont datés jusqu'à 2250 avant J.-C. (Moore 1982, Beauvoir-Dominique 2005). Les explorations et en particulier celles de Olsen en 1933, ont également permis de retrouver de nombreux objets remarquables en pierre décrits dans l'article de Irving Rouse (1982). Des sites néoindiens, livrant de la céramique, dont un en grotte sont également connus. Le potentiel archéologique de cette île peut être qualifié d'exceptionnel et l'on peut fortement redouter qu'il n'en soit aucunement tenu compte lors des travaux de ce gigantesque projet touristique (Labossière-Thomas, 2014) . Dans cette affaire les grands perdants risquent d'être la population vivant sur place, le milieu naturel et le patrimoine archéologique.

Le projet "Destination touristique Ile-à-Vache" sur le site du ministère du tourisme haïtien

Article de Dady Chery dans Haïti Chery

Article de Marie-Thérèse Labossière-Thomas dans Pikliz.com : Ile-à-Vache : Pirates d’hier et d’aujourd’hui.

Article dans AlterPresse Réseau alternatif haïtien d'information

BEAUVOIR-DOMINIQUE, Rachel, 2005. UNESCO - Puerto Real : défis nationaux et internationaux de l’archéologie haïtienne. Série du patrimoine mondial n°14 : Archéologie de la Caraïbe et Convention du patrimoine mondial (anglais, français, espagnol). p. 179-184. Series UNESCO.

MOORE, Clark, 1982. Investigations of Préceramic Sites on Ile à Vache, Haïti. The Florida Anthropologist. Vol. 35. N° 4. 1982. pp. 186-199. University of Florida Digital Collections

ROUSE, Irving, 1982. The Olsen Collection from Ile à Vache, Haiti. "Florida Anthropologist", Vol. 35, No. 4,1982, pp. 169-185. University of Florida Digital Collections

crédits images :

dimanche 13 juillet 2014

Haïti : l'UNESCO va expertiser l'épave dont l'explorateur sous-marin Barry Clifford prétend qu'il s'agit de la Santa Maria de Christophe Colomb

Haiti Santa Maria Suite à la demande de Monique Rocourt, ministre de la Culture de Haïti, la directrice de l'UNESCO a annoncé qu'elle enverrait une mission dans les prochains mois afin d'évaluer le patrimoine immergé au large de la ville de Cap-Haïtien et de proposer des solutions de sauvegarde et d'étude. Une épave connue depuis 1978 avait été désignée en mai dernier par l'explorateur sous-marin américain Barry Clifford comme étant celle de la Santa Maria, sur la base de la découverte d'un canon du XVe siècle, qui a d'ailleurs disparu depuis. Plusieurs chercheurs ont exprimé des doutes sur la façon dont est présentée cette affaire, dans un contexte où la médiatisation est utilisée par certains pour mieux attirer les fonds de mécènes ou de fondations. Une autre équipe d'archéologues avance que l'épave se trouve dans le lit de la Grande Rivière du Nord où elle aurait été recouverte de limons, site que la mission de l'UNESCO examinera également.

Sources :